Les mots sont une matière vivante, nous sommes traversés par eux. C’est à Papier de Soi que je l’ai vraiment compris.
Peut être qu’avant il n’y avait pas encore les mots.
J’étais debout sur une terre grasse et lourde. Une prairie et la pluie. Le paysage était à l’extérieur. J’étais avec mes bottes, près de l’étang et la terre, c’était celle des Flandres. Une terre où on ne parle pas. En dessous, ça vous engouffre. En tout cas, moi.
Et puis, il y a toujours la pluie, le matin. Toute la journée et même la nuit. Mais ce n’est pas triste.
Le monde qui vit là, vit à l’intérieur, dans la maison.
La voix du grand père et les chuchotements des autres, les femmes sûrement.
C’est saccadé, ça entre et ça sort et puis ça se tait.
En français au féminin, terre mère.
En flamand, au masculin, vaderland.
Et moi, entre les deux. Où sont les femmes? Dans la terre? Sur la terre? Sont elles de terre? sur terre? se taire.
Noires et veuves. Grand mère dans l’absence et mère toujours ailleurs.
Les enfants, on les laisse tranquilles, ils n’ont pas besoin de mots. Juste manger et agir – faire.
Et moi, à 12 ans, je ne veux plus rien faire.
Je ne bouge plus. Il pleut toujours.
Le ciel a rejoint la terre, mais je suis entre eux. Mon père est un oiseau, ma mère se cache.
Alors, je prends la boue entre mes mains. Elles sont brunes et ridées.
Les mots viennent de la terre. Je porte le monde dans ma bouche en parlant.
Je l’ai découvert ici quand ces mots enfin ont surgi dans la rencontre avec les autres, autour de cette table,
dans le souffle qui nous relie.